La parole est-elle un acte comme les autres ? : épisode • 1/3 du podcast Comment nous parlons-nous ?

La parole comme acte ©Getty - erhui1979
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On reconnaît volontiers aujourd’hui le poids des mots. Mais y a-t-il une violence spécifique au langage, et comment faut-il la traiter ?

Avec
  • François Recanati Professeur au Collège de France, titulaire de la chaire Philosophie du langage et de l’esprit
  • Mogens Laerke Historien de la philosophie de l’âge classique, directeur de recherche au CNRS
  • Mona Gérardin-Laverge Docteure en philosophie, post-doctorante à l'Université Saint Louis de Bruxelles

Comment nous parlons-nous ? Voilà qui mérite examen à l'heure où certains appellent à plus de contrôle de notre langage pour mieux respecter autrui, et où d'autres s'inquiètent d'un nouvel ordre moral dangereux pour la liberté d'expression. Dans le premier épisode, Géraldine Muhlmann et ses invités se demandent si la parole est un acte comme les autres.

Spinoza et la liberté d'expression

Pour Spinoza, il est inutile de restreindre l'expression des individus, car il est dans leur nature d'exprimer ce qu'ils pensent. "Les hommes sont incapables de tenir leur langue", et réguler la parole risquerait bien plutôt "d'irriter les vices" que de les réguler. Le philosophe propose donc une forme audacieuse de la liberté d'expression, distinguant l'acte et la parole. Mais, comme le remarque Mogens Laerke, la pensée spinoziste est en réalité plus nuancée. La "parole libre" est une "parole publique régulée par des règles de sincérité, de non-flatterie, de non-déception, sans invectives ni insultes", et non une parole illimitée.

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Quand dire, c'est faire

Au XXe siècle, le philosophe anglais John Austin introduit le concept d'énoncés performatifs pour décrire les énoncés qui ne sont pas de simples paroles, mais "agissent". Comme le rappelle François Recanati, contre la philosophie du langage dominée par les logiciens, Austin fait valoir que les énoncés ne sont pas seulement vrais ou faux. "Dire "je promets" par exemple, c'est promettre, accomplir un acte". De la même manière, l'énoncé "la séance est ouverte", prononcée dans un tribunal, accomplit l'ouverture de la séance. "Ce sont des énoncés qui ont des conséquences juridiques évidentes, qui créent certains droits et obligations".

Une "vulnérabilité linguistique"

Nous considérons souvent qu'injurier n'est pas la même chose que frapper quelqu'un. Mais, pour Mona Gérardin-Laverge, il est intéressant de penser la violence sous la forme d'un continuum. "Des actes de violences qui pourraient paraître isolés forment en fait un système de la violence", et reconduisent les structures d'oppression sociale. Elle remarque ainsi que "nous utilisons un vocabulaire corporel pour penser la vulnérabilité linguistique". Parce que nous sommes des êtres de langage, "nous sommes vulnérables, à la fois dans notre corps et dans notre construction subjective, à la manière dont on s'adresse à nous".

À réécouter : Parler, est-ce agir ?
Les Chemins de la philosophie
58 min

L'émission est à écouter dans son entièreté en cliquant sur le haut de la page.

Bibliographie

Références sonores

  • Archive de Donald Trump, des propos sur les femmes révélés par le The Washington Post, 2005
  • Archive de Donald Trump, "Présidentielle américaine. Scandale après les propos racistes de Donald Trump", France 24, 2016
  • Lecture par Aïda N'Diaye d'un extrait de Baruch Spinoza, préface du Traité théologico-politique (1670)
  • Lecture par Aïda N'Diaye d'un extrait de Baruch Spinoza, chapitre 20 du Traité théologico-politique (1670)
  • Lecture par Aïda N'Diaye d'un extrait de Thomas Hobbes, chapitre 18 du Léviathan (1651)
  • Archive de Roman Jakobson, France Culture, janvier 1977

Le Pourquoi du comment : philosophie

Toutes les chroniques de Frédéric Worms sont à écouter ici.

Le Pourquoi du comment : philo
3 min

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