La Lettre de l'ISJPS n° 13 | Droit comparé et internationalisation du droit

L'Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne est une unité mixte de recherche pluridisciplinaire réunissant juristes et philosophes. Il développe une réflexion transversale sur le devenir des normes et des catégories face aux défis du monde contemporain. La Lettre de l’ISJPS porte tous les deux mois un regard approfondi sur les activités de recherche de l’UMR.

Le centre de droit comparé et internationalisation du droit a vocation à prolonger au sein de l’ISJPS la tradition et les domaines de recherche de l’UMR de droit comparé de Paris, créée par Mireille Delmas-Marty en 1997. La démarche comparative y est dès lors entendue au sens large : à la comparaison horizontale entre droits nationaux, espaces régionaux ou branches du droit international, s’ajoute la dimension verticale des interactions entre les droits nationaux, les droits régionaux et le droit international. Une telle démarche comparative dynamique contribue au renouvellement de la réflexion sur l’évolution des espaces normatifs en tenant compte de leur porosité.

La Lettre de l'ISJPS n° 13 met l'accent sur certains travaux du Centre :

Une approche transversale de la normativité

Isabelle Fouchard

Chargée de recherche au CNRS, coresponsable du Centre

Kathia Martin-Chenut

Directrice de recherche au CNRS, coresponsable du Centre

Dans la continuité des travaux de l’UMR de droit comparé sur le pluralisme juridique, l’équipe du centre de droit comparé et internationalisation du droit, très diversifiée dans les profils comme dans les thématiques de recherche, privilégie une approche transversale et interdisciplinaire de la normativité. Les recherches développées s’ordonnent dès lors autour de thématiques variées qui ont en commun l’analyse des dynamiques normatives. 

Parmi elles, la thématique Internormativités et droit commun articule trois projets de recherche en cours dont le projet Bâtisseurs d’un droit commun. Ce projet, réalisé avec le soutien des services numériques de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, a pour objectif de constituer des archives orales de témoignages d’hommes et de femmes de différentes nationalités et générations qui, au cours de leur parcours professionnel, ont non seulement assisté mais également contribué à l’internationalisation du droit dans les domaines les plus divers. À ce jour, sont disponibles des vidéos de présentation de la notion de droit commun par Mireille Delmas-Marty et des entretiens avec François Tulkens, Bruno Cotte, Nicole Questiaux, Antonio Cancado Trindade et Emmanuel Decaux.

Concernant les deux autres projets, l’un, Vers un jus commune universalisable, s’est donné pour ambition d’esquisser à la lumière du passé et du présent les conditions d’un futur droit commun non pas universel mais universalisable. Ses résultats ont été réunis et publiés dans Sur les chemins d’un jus commune universalisable, dirigé par Mireille Delmas-Marty, Kathia Martin-Chenut et Camila Perruso.

Le troisième projet se penche sur Les contributions de l’Amérique latine à l’esquisse d’un droit commun. Il vise à identifier les diverses contributions latino-américaines susceptibles d’être à l’origine d’évolutions normatives innovantes pour répondre à des défis globaux. L’équipe a retenu pour les prochaines années trois axes de recherche : mécanismes de justice transitionnelle face aux crises anciennes et nouvelles (y compris la syndémie de covid-19) ; acteurs et normes de protection de l’environnement face à la crise écologique ; responsabilité(s) des entreprises face aux impacts sociétaux et environnementaux de l’activité économique. Ces trois axes seront développés dans le cadre de l’IRP ALCOM (2022-2026). Le Centre accueille en effet, pour les cinq prochaines années, un International Research Project (IRP), outil de coopération internationale du CNRS au service de la consolidation de partenariats de recherche collaborative, afin de consolider les collaborations déjà établies dans le cadre de ce programme.

Par ailleurs, dans le cadre des activités relatives aux droits de l’homme et droit pénitentiaire, plusieurs membres de l’équipe sont mobilisés depuis 2020 sur le projet Délinquance carcérale au prisme des peines internes, financé par le GIP Mission Droit et Justice. 

Pour aller plus loin

L'ensemble des présentations et entretiens élaborés dans le cadre du projet Bâtisseurs d'un droit commun sont disponibles sur la chaîne de l'ISJPS.

Une manifestation aura prochainement lieu pour rendre hommage à la contribution majeure de Mireille Delmas-Marty au rayonnement du droit pénal, du droit comparé et de la politique criminelle. Des mélanges consacrés à Mireille Delmas-Marty seront par ailleurs publiés en juin aux éditions Mare & Martin : Cheminer avec Mireille Delmas-Marty. Mélanges ouverts.

Fidèle à la tradition de l’UMR de droit comparé de Paris, l’ISJPS a créé en 2018 le Prix de thèse Delmas-Marty, qui vise à soutenir des travaux universitaires de qualité en récompensant une thèse de doctorat dans le domaine du droit ou de la philosophie.

Dans le même esprit, l’équipe du centre de droit comparé et internationalisation du droit a à cœur d’associer pleinement les doctorants et jeunes chercheurs à ses activités. Outre le Colloque Jeunes Chercheurs sur la privation de liberté (6e édition les 17-18 mars 2022) et l’Université d’été sur le contrôle des lieux de privation de liberté (4e édition du 23 au 27 août 2021), organisés tous les deux ans, a été mis en place un cycle de présentation des travaux en cours, notamment par les doctorants rattachés au Centre. La première aura lieu le 7 avril à 14h autour de Joshua Bishay, sur le thème "Jihad et justice aux procès pour terrorisme à Paris", en lien avec la thèse qu’il développe sous la direction de Livia Holden.

Le Centre organise également des rencontres annuelles ouvertes au public en vue d’échanger, autour d’universitaires et de praticiens, sur les méthodes et usages contemporains du droit comparé : après les "Méthodes de recherche en droit comparé" (2019) et les "Usages du droit comparé par les institutions françaises" (2020), à la faveur de l’arrivée de Livia Holden au sein de l’équipe, la dernière rencontre a été consacrée au thème "Expertise culturelle en Europe et au-delà : comment repousser les limites de la comparaison ?" (2021). 

Depuis février 2022, le centre de droit comparé et internationalisation du droit a en effet le plaisir d’accueillir Livia Holden, directrice de recherche au CNRS, ainsi que ses travaux sur l’expertise culturelle (voir l'entretien ci-dessous).

L'expertise culturelle

Livia Holden

Directrice de recherche au CNRS

Livia Holden, directrice de recherche au CNRS, rejoint le centre de droit comparé et internationalisation du droit de l’ISJPS. Elle y travaille sur son sujet de recherche central : l’expertise culturelle.

 

Bienvenue à l’ISJPS, Livia. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est l’expertise culturelle ?

Dans bien des sociétés multiculturelles actuelles, les professionnels du droit, souvent en collaboration avec des sociologues, des anthropologues, des historiens et des psychologues, sont obligés de créer des outils permettant de faire le pont entre le droit et les pratiques du droit. Ces outils assurent une égalité non seulement formelle, mais aussi substantielle.

Le concept d’expertise culturelle se présente comme un cadre théorique novateur recouvrant l’ensemble des outils déployés par les spécialistes des sciences sociales pour expliciter les contextes socio-juridiques et culturels des faits et des justiciables dans le but de résoudre les conflits dans le respect des droits humains. 

 

Que nous enseigne le lien entre droit et culture ?

Le lien entre droit et culture est multiforme et peut être observé transversalement, comme le montrent mes différentes publications. Ainsi, les coutumes de divorce à l’initiative des femmes en Asie du Sud jouent un rôle tant dans les tribunaux en Inde que dans les diasporas(1). Il existe également un témoignage sur le rôle des femmes juges au Pakistan juste après la chute de Musharraff(2). J’ai par ailleurs analysé le continuum entre droits et cultures dans le pluralisme juridique factuel et son impact sur la gouvernance(3). C’est dans l’ouvrage Cultural Expertise and Litigation que j’ai proposé la première conceptualisation de l’expertise culturelle. Depuis, cette définition a évolué pour inclure tous les outils que les professionnels du droit utilisent pour mieux évaluer le contexte socio-juridique des justiciables (Naveiñ Reet. Nordic Journal of Law & Social Research. Cultural Expertise and the Legal Professions, dirigé par Livia Holden, n° 11, 2021).

Les travaux d’EURO-EXPERT montrent que le lien entre droit et culture n’est pas une opposition binaire, mais un ensemble de dynamiques relationnelles, qui dépendent de leur contexte. C’est en France que nous avons relevé le plus haut niveau d’appréciation de l’expertise culturelle chez les professionnels du droit. L’ouvrage Cultural Expertise, Law, and Rights : A Comprehensive Guide (sous la direction de Livia Holden, Routledge, sous presse) propose un regard d’ensemble sur l’expertise culturelle en tant que nouveau cadre théorique qui permet de naviguer entre les dynamiques du droit et de la culture. 

 

Quel est le selon vous le rôle du numérique dans la recherche en sciences sociales ?

Le numérique nous permet non seulement d’archiver et d’analyser plus facilement nos données mais aussi de les mettre à la disposition du public presque en temps réel. CULTEXP, la première base de données multilingue et pluri-juridictionnelle sur l’expertise culturelle, propose plus de 4000 jugements et 1000 rapports d’experts, issus de tous les champs du droit, dans les langues originelles de 16 pays européens, accompagnés d’un résumé en anglais et traduits en 120 langues. 

 

(1) Hindu Divorce: A Legal Anthropology, Routledge, 2008 

(2) Lady Judges of Pakistan, Insights 2013, documentaire

(3) Legal Pluralism and Governance in South Asia and Diasporas, Routledge, 2015

Pour aller plus loin

Écouter le podcast What is cultural expertise

Le droit comparé franco-allemand

David Capitant

Professeur en droit public à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

L'équipe de recherche en droit comparé franco-allemand se consacre à l'étude du droit des pays de langue allemande : Allemagne, Autriche, Suisse.

Les recherches ont d'abord pour objets les thèmes suivants de droit public : théorie générale des droits fondamentaux, rapports entre le droit constitutionnel national et l'Europe, droits procéduraux des citoyens devant l'administration et le juge administratif, droit public des affaires.

Plusieurs formations en droit allemand s'appuient sur son équipe de recherche : le master en droits français et allemand, le master 2 Juriste international, le master européen de gouvernance et d'administration (MEGA). Un séminaire de droit allemand est organisé mensuellement. En lien avec l'École doctorale de droit de la Sorbonne, l'équipe participe à l'organisation du Collège doctoral franco-allemand en droit public comparé européen de l'université franco-allemande.