Livia Holden, directrice de recherche au CNRS, rejoint le centre de droit comparé et internationalisation du droit de l’ISJPS. Elle y travaille sur son sujet de recherche central : l’expertise culturelle.
Bienvenue à l’ISJPS, Livia. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est l’expertise culturelle ?
Dans bien des sociétés multiculturelles actuelles, les professionnels du droit, souvent en collaboration avec des sociologues, des anthropologues, des historiens et des psychologues, sont obligés de créer des outils permettant de faire le pont entre le droit et les pratiques du droit. Ces outils assurent une égalité non seulement formelle, mais aussi substantielle.
Le concept d’expertise culturelle se présente comme un cadre théorique novateur recouvrant l’ensemble des outils déployés par les spécialistes des sciences sociales pour expliciter les contextes socio-juridiques et culturels des faits et des justiciables dans le but de résoudre les conflits dans le respect des droits humains.
Que nous enseigne le lien entre droit et culture ?
Le lien entre droit et culture est multiforme et peut être observé transversalement, comme le montrent mes différentes publications. Ainsi, les coutumes de divorce à l’initiative des femmes en Asie du Sud jouent un rôle tant dans les tribunaux en Inde que dans les diasporas(1). Il existe également un témoignage sur le rôle des femmes juges au Pakistan juste après la chute de Musharraff(2). J’ai par ailleurs analysé le continuum entre droits et cultures dans le pluralisme juridique factuel et son impact sur la gouvernance(3). C’est dans l’ouvrage Cultural Expertise and Litigation que j’ai proposé la première conceptualisation de l’expertise culturelle. Depuis, cette définition a évolué pour inclure tous les outils que les professionnels du droit utilisent pour mieux évaluer le contexte socio-juridique des justiciables (Naveiñ Reet. Nordic Journal of Law & Social Research. Cultural Expertise and the Legal Professions, dirigé par Livia Holden, n° 11, 2021).
Les travaux d’EURO-EXPERT montrent que le lien entre droit et culture n’est pas une opposition binaire, mais un ensemble de dynamiques relationnelles, qui dépendent de leur contexte. C’est en France que nous avons relevé le plus haut niveau d’appréciation de l’expertise culturelle chez les professionnels du droit. L’ouvrage Cultural Expertise, Law, and Rights : A Comprehensive Guide (sous la direction de Livia Holden, Routledge, sous presse) propose un regard d’ensemble sur l’expertise culturelle en tant que nouveau cadre théorique qui permet de naviguer entre les dynamiques du droit et de la culture.
Quel est le selon vous le rôle du numérique dans la recherche en sciences sociales ?
Le numérique nous permet non seulement d’archiver et d’analyser plus facilement nos données mais aussi de les mettre à la disposition du public presque en temps réel. CULTEXP, la première base de données multilingue et pluri-juridictionnelle sur l’expertise culturelle, propose plus de 4000 jugements et 1000 rapports d’experts, issus de tous les champs du droit, dans les langues originelles de 16 pays européens, accompagnés d’un résumé en anglais et traduits en 120 langues.
(1) Hindu Divorce: A Legal Anthropology, Routledge, 2008
(2) Lady Judges of Pakistan, Insights 2013, documentaire
(3) Legal Pluralism and Governance in South Asia and Diasporas, Routledge, 2015