La Lettre de l'ISJPS n° 16 | Droit administratif et droit constitutionnel

L'Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne est une unité mixte de recherche pluridisciplinaire réunissant juristes et philosophes. Il développe une réflexion transversale sur le devenir des normes et des catégories face aux défis du monde contemporain. La Lettre de l’ISJPS porte tous les deux mois un regard approfondi sur les activités de recherche de l’UMR.

Le centre d'études et de recherches sur l'administration publique (CERAP) et le centre Sorbonne constitutions & libertés (CSC&L) regroupent respectivement les spécialistes de droit administratif et de droit constitutionnel au sein de l’ISJPS. Depuis deux années, ils ont lancé ensemble plusieurs initiatives telles que la création d’un séminaire doctoral commun qui a tenu une douzaine de sessions. Cette collaboration a également débouché sur plusieurs projets scientifiques :

Gouverner et juger en période de crise

Xavier Dupré de Boulois

Professeur de droit public à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, responsable du centre d'études et de recherches sur l'administration publique (CERAP)

Xavier Philippe

Professeur de droit public à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, directeur adjoint de l'ISJPS, responsable du centre Sorbonne constitutions & libertés (CSC&L)

Le programme de recherche "Gouverner et juger en période de crise" a été initié dans la continuité des conférences "virtuelles" regroupant juristes et philosophes organisées par l’ISJPS pendant la crise de SARS-Cov2. Ces conférences ont révélé l’importance des interrogations relatives à la gouvernance en contexte de crise. Le CERAP et le CSC&L ont souhaité approfondir ces réflexions à travers la mise en place d’un programme de recherche associant une vingtaine de leurs membres. Décliné en trois ateliers et une dizaine de séminaires qui se sont tenus en 2021 et 2022, ce programme de recherche se conclura par la publication fin 2022 d’un ouvrage collectif au sein de la Collection de l’ISJPS aux éditions Mare & Martin.

Le programme de recherche s’est ordonné autour de trois axes. Le premier, consacré aux acteurs, a fait ressortir deux tendances que les périodes de crise donnent à voir. Il s’agit d’abord du renforcement du déséquilibre traditionnel entre les pouvoirs en France en faveur du pouvoir exécutif aux dépens en particulier du Parlement, et au bénéfice de l’État aux dépens des collectivités infra-étatiques. Il est question ensuite de l’apparition de nouveaux acteurs ou d’institutions dérivées remplissant certaines fonctions pour lesquelles elles n’avaient pas été initialement prévues (ex. : Conseil de défense sanitaire et Conseil scientifique durant la crise du SARS-Cov2).

Le deuxième axe de cette recherche a été consacré aux normes et procédures, c’est-à-dire à l’édiction et au contenu des règles mobilisées pour gérer les crises. De manière générale, il a permis d’interroger la place et la pertinence des régimes d’exception en période de crise en France et ailleurs. Il a également été l’occasion de réflexions sur l’expertise dans la définition des politiques publiques de crise et sur l’influence desdites crises sur les modalités de la décision publique. Enfin, plusieurs contributeurs se sont efforcés d’analyser les effets de la gouvernance de crise sur l’exercice des libertés fondamentales.

Le dernier axe a porté sur les contrôles de l’action des autorités publiques, en particulier le contrôle juridictionnel, en contexte de crise. Un double constat a été opéré à cette occasion. D’un côté, le juge exerce son contrôle sur les mesures prises en période de crise et ce quelle que soit son intensité. À quelques exceptions près, l’injusticiabilité n’est plus de mise. D’un autre côté, la crise possède un certain effet "anesthésiant" sur le contrôle juridictionnel. Certes, le juge peut censurer les mesures absurdes, décalées ou aberrantes – souvent des mesures locales – mais il admet assez facilement, à l’issue de l’exercice de son contrôle, qu’une mesure rentrant dans les pouvoirs de crise soit justifiée simplement parce que son but consiste à lutter contre cette crise et ses effets.

Pour aller plus loin

À paraître dans la Collection de l'ISJPS aux éditions Mare & Martin

Juges constitutionnel et administratifs : retour sur un "duo ou chœur à deux voix" ?

Xavier Dupré de Boulois

Professeur de droit public à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, responsable du centre d'études et de recherches sur l'administration publique (CERAP)

Xavier Philippe

Professeur de droit public à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, directeur adjoint de l'ISJPS, responsable du centre Sorbonne constitutions & libertés (CSC&L)

Le 7 septembre 2022 s’est tenue une journée d’études organisée conjointement par les constitutionnalistes et les administrativistes de l’ISJPS sur les relations et emprunts que le juge constitutionnel et les juges administratifs entretiennent et mettent en œuvre. Cette manifestation, prenant place dans une recherche initiée par l’Association française de droit constitutionnel, a permis de s’interroger sur une relation qui avait fait l’objet en 1988 d’un colloque intitulé "Conseil constitutionnel et Conseil d’État". Si le contexte a profondément évolué en 25 ans, notamment avec le développement des droits européens et l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité, les contributions de cette journée ont permis de comprendre comment le juge constitutionnel s’était approprié certains concepts du droit administratif et méthodes du juge administratif. Elles ont également conduit à constater qu’en certaines hypothèses, le juge constitutionnel n’avait pas hésité à construire sa propre compréhension des concepts du droit administratif s’écartant des fondements initialement développés par le Conseil d’État. Les divergences entre les deux juges sur le droit administratif demeurent cependant peu fréquentes, de telle sorte qu’il est permis de conclure que l’entente et la compréhension mutuelles demeurent au cœur de leur relation. Finalement, plutôt un chœur qu’un duo malgré quelques velléités d’autonomie…

Cette journée d’études fera l’objet d’une publication dans la Collection de l’ISJPS (éditions Mare & Martin), conjointement aux actes d’une journée d’études qui s’est tenue à l’Université de Montpellier en avril 2022.

Le droit processuel public

Romain Vincent et Valentin Vince

Docteurs en droit de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Dans le cadre d’un appel à projets lancé par le département de droit public de l’École doctorale de droit de la Sorbonne, l’ISJPS, à travers le CERAP et le CSC&L, a apporté son soutien à l’organisation d’une journée d’études par deux doctorants de l’ISJPS aujourd'hui docteurs, Romain Vincent et Valentin Vince. Cette journée consacrée au droit processuel public s’est tenue le 5 novembre 2021.

Cette journée d’études entendait rendre compte des réflexions menées par des doctorants, docteurs, enseignants-chercheurs et membres de la juridiction administrative concernant le droit processuel public. Touchant l’ensemble des disciplines du droit public, cette thématique n’avait jamais fait l’objet d’une appréhension systématique par la doctrine publiciste — même si des auteurs ont développé une approche "processualiste" pour connaître des contentieux publics. L’ambition affichée était donc de s’interroger sur le particularisme des règles applicables aux juridictions administratives et constitutionnelles afin de discuter, en creux, l’existence d’un droit processuel général. En effet, bien que ce dernier soit défini comme une discipline ayant vocation à synthétiser les règles applicables devant les juridictions civiles, pénales, administratives et constitutionnelles, le champ de la comparaison s’est élargi aux juridictions spécialisées, qu’il s’agisse des juridictions internationales, ordinales, voire des autorités administratives indépendantes. En outre, si la plupart des ouvrages de droit processuel abordent les règles applicables aux procès publics, ils n’insistent pas nécessairement sur leurs spécificités et leur exorbitance. À ce titre, c’est bien l’existence d’un droit processuel général qui pouvait être mise en doute. Il ressort de l’étude que l’existence de principes communs applicables aux juridictions des États libéraux ne saurait être contestée : les juridictions administratives et constitutionnelles, comme leurs homologues judiciaires, connaissent et appliquent les principes du contradictoire, d’impartialité et d’accès au juge. Leur mise en œuvre par les "juridictions publiques" est cependant fonction de considérations organiques et matérielles qui tiennent à la présence de la puissance publique et à la préservation de l’intérêt général, celles-ci faisant obstacle à la constitution d’un corps unifié de règles. En dépit des limites constatées, chacune des contributions apporte une pierre à l’édification d’un authentique droit processuel public et témoigne de la nécessité, pour la doctrine publiciste et privatiste, d’investir ce champ de recherche.

Pour aller plus loin

Les actes de cette journée sont à paraître dans la Collection de l'ISJPS aux éditions Mare & Martin.